Voici une Petite histoire d’appétit et de sushis, écrite et illustrée par Anna Boulanger. Où l’on découvre un tanuki confectionnant malgré lui le célèbre plat japonais. La demoiselle est secrète, les silences ne l’effraient pas, les mots non plus, elle en affectionne la mélodie et le sens caché. Nous avons tranquillement bavardé d’animaux poilus et de petits dessins.
Un estomac dans les talons, Petite histoire d’appétit et de sushis – Zoom Editions (14€)
Ni chien ni martre, ni raton-laveur ni ragondin, tout cela à la fois, le tanuki est appelé « chien du Japon ». Si on le dit malhabile et distrait, retenons que c’est un joyeux drille, le genre de petit plaisantin qui vous envahit une île en un rien de temps. Au Japon, dont il est natif, il fait partie des yakai, esprits de la forêt. Il se métamorphose, joue des tours aux chasseurs, fabrique de la fausse monnaie avec des feuilles d’arbre. Sympathique. Il est cet animal singulier, héros du dernier album de la bretonne Anna Boulanger.
Un tanuki gastronome
Anna Boulanger nous transporte dans une forêt d’Extrême-Orient, plantée de vieux chênes noueux. Le tanuki hiberne, sous la terre enneigée. Son estomac gourmand se rappelle à son souvenir et le ramène au monde éveillé. De wasabi en shiitake, de nameko en enoki, le petit tanuki expérimente des saveurs étranges et étrangères, qui bouscule son estomac de plus en plus affamé. Quand enfin, il plonge dans un garde-manger géant, il est englouti, aspiré, secoué, épuisé. Et surpris de ce que l’événement inattendu dépose à ses pieds lorsque le calme finit par revenir…
Des dessins de la taille d’un timbre
Animaux poilus
« J’aime bien dessiner les animaux poilus… » Oui, il s’agit bien de dessin. Authentiquement. Précis et raffiné. Le rotring d’Anna Boulanger s’est posé mille fois, minutieusement, lentement. Infatigable et patiente, Anna Boulanger excelle en pointillisme. Elle dessine « tout petit ». De préférence dans son petit carnet moleskine dont le papier favorise le glissement de la pointe. Le sujet occupe le centre de la petite page, sur à peine quelques petits centimètres carrés. La superficie d’un timbre. Pour Un estomac dans des talons, Anna Boulanger a du travailler sur un plus grand format. Dans son nouvel album, les petits traits assemblés forment un tanuki.
Tireur d’élite ou journaliste dans les pays en guerre
« Quand j’étais petite, je voulais être tireur d’élite ou journaliste dans les pays en guerre ». Un cours de dessin en CM2 modifie sensiblement ses projets. Un peu plus tard, au collège, l’atelier animé par l’illustrateur Hervé Le Goff donne le coup de grâce. Anna Boulanger sourit à cette idée : « à cause d’Hervé Le Goff », elle prend le chemin des arts plastiques. Elle sera illustratrice et auteur. Eternelle reconnaissance au Prince Motordu et à l’habile Pef. Car Anna Boulanger révèle une attirance pour les mots et les jeux de langage.
« Je suis une fille qui aime bien l’école, j’adore apprendre… ». Après son bac, elle quitte la côte de granit rose pour Bruxelles, où elle étudie l’illustration. Elle acquiert les techniques et les compétences dont elle pourra user avec élan et liberté aux Beaux-Arts de Rennes. Aux âmes bien nées, la valeur n’attend pas le nombre des années. Zoom Editions publie le premier album d’Anna, avant même qu’elle ne décroche son master. Papa, C’Est Quoi un Homme Haut Sekcuel ? sera un album remarqué, éclairant son appétence pour les mots, son indépendance d’esprit et sa témérité.
Résidence d’artistes
Anna Boulanger est une talentueuse travailleuse, une artiste volontaire, au regard vif et acéré . Une artiste singulière. Avide d’expériences riches, elle a passé six mois en Allemagne. En résidence d’artistes, elle choisit de rompre avec ses habitudes, autant pour les contraintes que pour la liberté que cela procure. » J’étais déconnectée, ailleurs, obligée de parler une autre langue… ». Toujours ce rapport au langage. Là-bas, en Saxe, dans une église, dans un sous-sol abritant une mikvah et dans une ancienne distillerie, elle forme le projet de recherches personnelles sur le genre neutre, ce fameux das allemand, ni masculin, ni féminin.
Depuis son retour à Rennes, elle partage un atelier à l’Elabo avec les graphistes de l’Atelier du Bourg. Elle prépare actuellement une exposition de travaux personnels – « de l’art » – que la librairie du Chercheur d’Art présentera à partir du 9 janvier 2011. Pour tromper notre attente, nous guetterons l’apparition d’animaux poilus, parfois endormis, sur le blog de la petite taupe nyctalope. Nous nous y glisserons à pas de tanuki…
* Merci mille fois à Anna Boulanger pour le temps et les confidences.
> Chez Zoom Editions, Anna Boulanger a également écrit : Avant la nuit ou Quand le couscous cachait le ciel.
> En 2008, aux côtés de 17 étudiants en Master d’Edition, Anna Boulanger a participé à la réalisation de l’ouvrage Eros, La Bretagne et les Bretons.