L’importance des livres pour enfants dans nos vies prend souvent la forme de liens invisibles qui nous unissent à ceux qui l’inventent. Ce matin, un lien est chagrin. Elzbieta est morte lundi 8 octobre à Paris, à l’âge de 82 ans. Flon-Flon, Musette, Petit-Gris, Larirette, Catimini, Hoplà, Couci-Couça sont orphelins. Enfin, pas tout à fait, car nous ferons au mieux pour continuer à leur donner une place. Ce matin, donc, émus, nous avons feuilleté L’enfance de l’art et relu les mots d’Elzbieta.
Née en Pologne en 1936, Elzbieta Violet quitte son pays pendant la guerre. A Mulhouse, elle est accueillie par sa « fée-marraine » qui ne possède que deux livres, mais sait bien raconter les contes de Grimm. Cette femme de grande qualité enveloppe la petite fille d’un bonheur fragile avant qu’il ne faille fuir à nouveau. L’exil, les nouvelles langues qu’il faut apprendre, les nouveaux lieux qu’il faut apprivoiser, les peurs qui paralysent, rien n’empêche pourtant Elzbieta de nourrir des rêves.
En Grande-Bretagne, puis à Paris, habitée par celui de devenir mousse sur un cap-horner ou sur un bateau pirate, c’est finalement vers l’art qu’elle se tourne. L’art appliqué à l’écriture et à l’illustration des livres pour enfants.
» En somme, le domaine du livre pour enfants s’est révélé pour moi n’être pas seulement l’occasion de créer des histoires, des personnages et des styles amusants. Cette activité m’a offert le moyen de retrouver et de faire revivre la manière qu’a l’enfant, selon moi, de penser le monde en général et le mystère des grandes personnes en particulier ».
De l’œuvre d’Elzbieta émane un respect absolu pour l’enfant. Le respect de son intelligence, de sa capacité à saisir le monde, de sa compréhension souvent plus alerte que celle des grandes personnes. Aucun sujet ne peut donc être éludé. Ni la guerre, ni la séparation, ni la pauvreté…
En 1994, les librairies Sorcières ont récompensé Flon-Flon et Musette, l’histoire de ces deux petits lapins que la guerre sépare. Une amie polonaise nous avait raconté que la sortie de l’album en Pologne avait provoqué l’indignation, notamment celle d’un journaliste qui avait mené une croisade contre la publication de l’album. « On ne parle pas de la guerre, de la mort ou de la séparation aux enfants !. Trop petits, trop fragiles, ils ne peuvent pas comprendre ! ». En France, quelques voix s’étaient également élevées…
Elzbieta répondait : » Qui pourrait expliquer ce qu’il a compris d’un quatuor de musique ou de la lecture de Hamlet ? » Elzbieta répondait par l’écriture d’albums subtils, puissants et lumineux. Des albums agissant comme des « outils qui permettent, un tout petit peu, de penser l’impensable, plutôt que de le fantasmer ». Elzbieta répondait en faisant confiance aux enfants.
Illustratrice, Elzbieta expérimentait les techniques, redoutant de s’ennuyer et d’ennuyer, cherchant l’approche graphique la mieux adaptée au thème, s’en remettant aux techniques d’impression, multiples et créatives.
» J’élabore mes divers styles graphiques en fonction du climat dont je souhaite imprégner un livre. Chaque thème pose un problème nouveau (…) Pour éviter les pièges de l’ennui, il me faut toujours prendre un risque. »
» Toute la panoplie disparate de ma vie d’enfant est sans doute la matière première de les entreprises (…) La guerre, ma marraine et les sureaux de Nordfeld ont à voir avec le fait que j’écris et dessine des livres pour enfants, mais je ne sais exactement ni comment ni pourquoi. »
Ni comment ni pourquoi… qu’importe, ce fut magistral. La bibliothèque que nous laisse Elzbieta suffit à nous rendre reconnaissants et désireux d’être à la hauteur de ce lien qu’elle a construit.
Elzbieta © Lea Crespi pour Télérama
Marine Landrot avait interviewé Elzbieta en 2014. Retrouvez cette interview ici.