La Ronde Annuelle des Marteaux-Piqueurs / Le monde n’est pas un conte de fée

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Mercredi, le 6 mai 1953

Güllen, village imaginaire, dans un canton suisse. 

Mercredi, le 6 mai 1953. Autour de la villa rose, la vie s’écoule paisiblement. Les arbres sont en fleurs, il n’y a pas école,  les enfants fabriquent des jeux buissonniers, le peintre a posé son chevalet près du pont, les hommes labourent la terre. Le paysage est serein et montre la vie à son image. Tout est en ordre. Comme définitif.

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Jeudi, le 16 août 1956

Jeudi 16 août 1956. C’est à peine perceptible. Peut-être cette voiture bleue,  la petite usine au loin, l’électricité dans la maison rose… Le point de vue est identique. Hormis un étrange objet, qui attire l’attention des enfants – l’auteur fait-il référence aux fréquents témoignages d’observation d’ovnis recensés en 1956, en Suisse ? – les changements sont si discrets qu’ils nous feraient prendre des vessies pour des lanternes.

Vendredi 20 novembre 1959.  A gauche, le petit bois fait face aux buldozers. Pour quel projet les hommes le sacrifient-ils ? Où est passé le matou blanc ? Que déverse ce gros tuyau dans l’étang ?

Ainsi se succèdent les transformations du paysage de Güllen, soumis à « la ronde annuelle des marteaux-piqueurs », jusqu’à ce dernier tableau du mardi 3 octobre 1972. Rasée, la jolie villa rose : c’est arrivé un lundi, en 1969.  Elle n’a laissé aucune trace, pas une pierre. A sa place, on a construit une autoroute où l’on roule vite. Un panneau annonce :  » La vie à Güllen va devenir plus belle, la vie à Güllen va devenir plus confortable, nous construisons un centre commercial, 500 places de parking « .

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 Mardi, le 3 octobre 1972

Certaines images valent mieux que de grands discours. L’auteur de Ronde des Marteaux Piqueurs fait un choix percutant pour représenter la mutation d’un paysage et l’impact destructeur du progrès. « Ni moraliste, ni fabulateur », Jorg Müller montre simplement, avec conscience et réalisme. 1953-1972, trente ans à peine, un temps infinitésimal à l’échelle de l’histoire de l’humanité, pas même  celui d’une génération, le paysage change à la vitesse de la lumière. Sommes-nous inévitablement les enfants d’un paysage qu’adultes nous ne reconnaîtrons pas ? Bien qu’affirmant que « le monde n’est pas un conte de fée », c’est avec poésie et pédagogie que Jorg Müller semble nous inciter à ferrailler contre cette fatalité.

 

En 1973, lorsque les éditions Sauerländer publient La Ronde Annuelle des MarteauxPiqueurs, l’album rencontre un succés international. L’approche est originale et au-delà de sa démarche d’éclaireur, Jorg Müller est un artiste, un illustrateur qui peint, à la gouache ou à l’acrylique, qui se penche sur sa table à dessin et se concentre à l’extrême. Comme si les images étaient pesées, son  travail d’illustrateur semble s’accompagner de temporalité et de lenteur. Autant que par le message, on est touché par cette élégance.

 

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Jörg Müller à sa table de travail – Source : http://www.gewerbemuseum.ch

 

> Ronde annuelle des marteaux piqueurs ou La mutation des paysages a été édité par L’Ecole des Loisirs en 1974 – Contient 7 planches – Prix 27,10€

> Après la publication de La Pelle Mécanique ou la mutation d’une ville, Jörg Müller a régulièrement illustré les textes de l’écrivain suisse Jörg Steiner.

> En 1994, Jörg Müller a reçu le Prix Hans Christian Andersen, décerné par l’IBBY. Surnommé le petit Nobel de littérature, ce prix reconnait une « contribution durable à la littérature pour enfants ».

> Güllen, le village imaginaire de Ronde annuelle…, est aussi le théâtre d’un texte écrit  en 1955 par le suisse Friedrich Dürrenmatt, La Visite de la Vieille Dame. Güllen y est décrit comme un village qui meurt progressivement…